Homélie
Messe des étudiants 2024 en l’église Saint-Sulpice
– Ga 3,1-5 ; cantique Lc 1 ; Lc 11, 5-13
Les lectures que nous venons d’entendre font appel aux trois vertus théologales que sont la foi, l’espérance et la charité : vous l’avez remarqué en écoutant ces textes.
Cela commence d’abord par la première lecture que nous avons entendue, tirée de la Lettre de saint Paul aux Galates. Si je vous avais dit « Parisiens stupides » vous n’auriez pas été très contents ! Et c’est pourtant ce que fait l’apôtre Paul en écrivant à cette communauté de Galates qu’il n’aime pas moins que les autres communautés de chrétiens qu’il a fondées ou qu’il a soutenues, qu’il a aidées sur le chemin de la découverte du Christ. Il leur reproche et il leur dit violemment d’avoir abandonné ou d’avoir laissé s’étioler la foi au Christ, la foi au Christ Sauveur pour la remplacer par des pratiques – il s’agit de la circoncision – des pratiques qui leur paraissaient plus sûres pour obtenir le salut. Mais évidemment cela réservait le salut à ceux qui acceptaient ces pratiques-là. Et Paul leur dit que ce n’est pas la foi qu’il leur a enseignée. La foi qu’il leur a enseignée, c’est que le salut est donné et offert à tous. Et ceux qui le savent, c’est-à-dire nous les communautés chrétiennes, nous sommes chargées de le montrer. Le salut est obtenu par la croix et la résurrection de Jésus, et c’est la seule chose à laquelle nous nous rattachons vraiment. Le Christ est le seul à apporter le salut, et ce qu’il montre c’est que les croyants n’abandonnent pas cette foi unique en Dieu Sauveur, en Dieu fait homme, qui n’oublie pas de rester Dieu et qui ainsi apporte le salut à tous, puisqu’il est le Créateur de tous.
Il nous sauve, et notre fidélité, notre amour respectueux de tous, notre charité, sont les signes qu’il nous est permis de donner pour que cette foi au Christ vivant puisse être reconnue, puisse être annoncée, puisse être reçue par d’autres que nous. C’est lui le Christ.
Le psaume insiste, vous avez entendu : « Dieu a fait surgir la force qui nous sauve dans la maison de David son serviteur. » Quand nous entendons cette phrase que je viens de lire, nous qui venons historiquement après le Christ, nous reconnaissons que c’est le Christ dont il s’agit ici : il est de la maison de David, il est celui qui est choisi, il est celui qui vient de Dieu en passant par une famille humaine, par la famille de David, par la descendance de David. Il est vrai homme mais il est vrai Dieu et il est passé par une famille humaine. C’est donc lui que nous célébrons, c’est lui que nous mettons au centre de notre foi, de notre vie, de notre témoignage : il n’y en n’a pas d’autre.
Jésus, quand il vient, comme vous le savez, enseigne à partir de récits tout simples. Il se trouve que cette histoire de maison fermée la nuit avec toute la famille qui est là bien à l’abri, c’est une chose qu’on peut voir aujourd’hui. Je l’ai revue il y a quelques semaines dans un village chrétien de Cisjordanie, à Taybeh : on voit une maison palestinienne, une maison de village, une maison séculaire et peut-être un peu plus, mais qui reprend les habitudes multiséculaires de ce pays. Une pièce unique avec au fond les réserves, les silos nécessaires qui permettent de garder la nourriture à l’abri, et puis la pièce où on se tient, la pièce où on se réfugie. Pendant le jour, les paillasses sont dans un coin, entassées, et au moment d’aller se coucher on répand les paillasses tout au long de la pièce et tous les habitants de la maison se serrent les uns contre les autres et on ferme la porte avec une barre pour être bien protégés et dormir en paix. De telle sorte que si quelqu’un vient frapper à la porte et demande qu’on lui ouvre on dérange tout le monde. Voilà ce que dit Jésus et qui fait écho très simplement dans le cœur et l’esprit de ceux qui l’écoutent : c’est comme cela qu’ils vivent. Et ils comprennent que Dieu peut être dérangé : à Dieu on peut demander, devant Dieu on peut et être l’ami importun. Dieu est capable de se déranger pour nous donner son Esprit. On peut lui demander son assistance, on peut lui demander de venir habiter chez nous par son Esprit qui nous transforme jour après jour, qui nous rend capables de foi en son Fils, qui nous rend capables de charité auprès de tous, d’aimer tout homme et toute femme pour pouvoir lui annoncer le salut en Jésus. C’est lui, Dieu, qui nous donnant son Esprit nous ouvre l’avenir et nous permet de ne pas nous enfermer sur les difficultés présentes mais de croire vraiment qu’il ne cesse de nous donner hier, aujourd’hui et demain.
Il nous a donné son Fils dans le passé, mais son Fils est toujours là avec son Esprit qui habite en nos cœurs. Et demain il sera encore là, capable donc de nous remplir d’espérance.
Alors vous, chers étudiants, et nous qui sommes avec vous tout au long des jours, qui accompagnons votre marche, votre découverte du Christ, qui nous instruit nous aussi : ce que vous vivez, ce que vous découvrez, est bon pour nous, et ce que nous avons déjà vécu, ce que nous avons découvert dans notre vie est bon pour vous. Tous ensemble, nous allons vivre dans quelques mois, à peine, l’année jubilaire que l’Église célèbre depuis l’année 1300, tous les 25 ans : le jubilé de l’Incarnation. Le souvenir rappelé successivement aux hommes et aux femmes de chaque époque – aux chrétiens, aux croyants, mais aussi aux autres peut-être – que Dieu s’est fait homme un jour du temps et qu’il reste au milieu des hommes depuis ce temps. L’Église a donc pris l’habitude, depuis des siècles, de rappeler cela tous les 25 ans et d’inviter à un chemin de conversion.
Le pape a donc annoncé qu’en 2025, comme chaque quart de siècle, nous entrerons dans une année jubilaire, une année de joie. Cette année, il l’a placée sous le regard de l’Espérance. Il nous dit : « L’espérance ne trompe pas, ne déçoit pas. » Il n’invente pas cette phrase : il l’a trouvée dans l’apôtre Paul, dans la Lettre aux Romains. Dans le livret que vous avez dans les mains, à la première page, il y a un texte issu de cette Lettre et qui dit qu’il nous faut déborder d’espérance. Cette citation je ne la reprends pas puisqu’elle est dans ce livret, vous la lirez, mais je vous en offre une autre de ce même texte. Nous rencontrons souvent des personnes découragées – je pense que vous en rencontrez vous-mêmes – qui regardent l’avenir avec scepticisme et pessimisme, comme si rien ne pouvait leur apporter le bonheur. Puisse le jubilé être pour chacun l’occasion de ranimer l’espérance.
Je vous l’ai dit tout à l’heure, dans les textes que nous venons d’entendre, il y a l’évocation de la foi au Christ, seul Sauveur, l’évocation de la charité, le récit que Jésus nous confie dans l’évangile d’aujourd’hui. Et puis cette ouverture à l’espérance, le don de l’Esprit que Dieu veut nous donner chaque jour, qui fait que l’avenir pour nous n’est pas noir, l’avenir pour nous n’est pas bouché, fermé, la porte de la maison n’est pas fermée pour qu’on se protège un avenir. Non, nous croyons que l’avenir pour nous est avec Dieu, nous croyons vraiment que l’avenir c’est Dieu qui nous le donne.
La foi, l’espérance et la charité sont des vertus théologales dit-on. Théologales, c’est-à-dire que c’est Dieu qui les nourrit en nous, elles viennent de lui. Ce ne sont pas simplement des sentiments que nous avons, des impressions un peu liées à une psychologie, une psychologie qui serait heureuse. Non, les vertus ce sont des graines qui sont semées en nous et qui sont faites pour grandir, et qu’il faut cultiver. Elles ces vertus théologales sont des dons de Dieu : elles sont en nous, elles nous sont données, mais elles ne vivent que si nous essayons de les cultiver, si nous essayons de nous dire du point de vue de la foi : « C’est Jésus qui me sauve et rien d’autre, personne d’autre, aucune pratique plus ou moins magique. » Les mots que Jésus dit qui deviennent des paroles de vérité dans nos vies, voilà ce qui nous sauve.
Voilà ce qui nous donne aussi la joie de l’espérance ; voilà ce qui nous permet de tenir jour après jour des projets de vie ; voilà ce qui nous permet de nourrir en nous une fidélité. Et puis, voilà ce qui nous permet de tenir la charité, la charité la plus vive pour tous. Et vous savez bien que ce n’est pas simple ! Vous êtes capables – nous sommes capables – de faire du bien aux autres, à ceux que nous aimons. Cela devient plus difficile quand il faut faire du bien aux autres que nous ne connaissons, que nous méconnaissons, que nous négligeons, que peut-être nous ne sommes pas disposés à connaître. Et, pourtant, le Seigneur nous invite à le faire.
Nourrir la foi et l’espérance par la charité de tous les jours, c’est ce que nous pouvons faire. Transformer notre existence en une existence donnée aux autres, c’est ce à quoi nous sommes appelés. Alors la foi, l’espérance et la charité deviendront vives en nous. L’espérance que l’avenir est toujours possible, avenir de paix, de fraternité, de progrès humain, de transformation des cœurs : voilà ce qui nous est promis.
Que le Seigneur vous la donne tout au long de cette année. Soyez des porteurs de foi ; soyez des acteurs de charité ; soyez des animateurs de l’espérance !
+ Laurent Ulrich, archevêque de Paris, le 10 octobre 2024